Espèce invasive

Voilà le thème mensuel sur lequel nous avions décidé de plancher, mes amis et moi. J’ai un peu dépassé mon timing, je l’avoue, mais j’ai été franchement inspirée! Merci à Edwige (ou Maya?) qui nous ont parlé de l’invasion des perruches parisiennes.

Un frémissement. Curieuse, Ambre lâcha la main de son père et s’arrêta, penchant ses boucles brunes vers le fourré.

Les feuilles se disputaient les faveurs du soleil, cachant aux regards indiscrets les tréfonds de l’hortensia. Ambre fronça les sourcils. L’après-midi touchait à sa fin dans la nonchalance coutumière des premières soirées d’été. Rien que de très habituel… et pourtant, son intuition de petite fille lui soufflait qu’un mystère se cachait là.

Au moment où la main de son père revenait chercher la sienne, un nouveau mouvement chahuta le feuillage. Ambre résista à la poigne qui la tirait doucement vers l’arrière, dardant son regard sur le pied de l’hortensia. Là, une minuscule tête oblongue émergeait de son abri.

Au bout d’un long cou ridé à peine plus gros que l’index de la petite fille, deux minuscules billes noires la fixaient sans la voir. Ambre approcha son visage de l’apparition, détaillant la carapace qui, petit à petit, sortait du couvert. L’apparition avait un air si comique, tenant tant de l’adorable bébé que de la grand-mère mal réveillée que l’enfant éclata d’un rire franc et radieux.

Un tirement sec. Emportée par la poigne de son père, Ambre fut obligée de laisser là l’adorable tortue.

Le lendemain, la petite fille n’eut pas besoin de fourrer son nez sous les plates-bandes pour dénicher le comique quadrupède. Un troupeau de petites tortues prenait le soleil sur la pelouse. Les enfants tournaient autour, riant aux éclats face à ces têtes oblongues qui jaillissaient de leurs carapaces, les joues poudrées de rouge. Les lents mouvements des reptiles déclenchaient l’hilarité des têtes blondes. Parents comme gardiens du parc les observaient, dubitatifs. Ils ne comprenaient pas comment quelques cailloux animés déclenchaient autant de rires, mais leurs lèvres figées, petit à petit, se craquelaient d’une esquisse de sourire.

Une semaine plus tard, scientifiques et journalistes se pressaient aux portes du parc pour comprendre l’incroyable phénomène. Le troupeau de tortue, devenu horde puis colonie, débordait des plates-bandes, conquérant pas à pas trottoirs et routes avoisinantes. Personne n’expliquait l’incroyable vitesse de reproduction de ces tranquilles reptiles, dont la lenteur de mouvement frôlait l’irrévérence. Les débats comme les quadrupèdes s’échappèrent bien vite des barrières du parc, et la place publique devint le lieu de joute oratoires débridées. Les uns arguaient qu’il fallait prolonger la durée des feux piétons pour laisser traverser en sécurité les dignes représentantes du slow life, quand les autres proposaient d’ériger la chair de tortue en spécialité gastronomique aux côtés de la cuisse de grenouille.

Loin de ces débats d’adultes, Ambre pressait tous les jours son père pour aller faire un tour au parc. Malgré les réticences de ce dernier face à l’incompréhensible phénomène, il finissait toujours par abdiquer : rien ne pouvait rivaliser avec le plaisir d’entendre le rire de sa fille ricocher sur les carapaces des inoffensifs reptiles.

Et quand Ambre riait, les tortues levaient leurs cous oblongs, esquissaient un lent sourire et soudain, les étincelles de magie qui dormaient au fond de leurs prunelles s’allumaient… et se multipliaient.

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