Tempête imprévue

Ce week-end, Mickaël nous a offert un très joli texte sur les émotions dans son flow hebdomadaire. J’aime les textes qu’il nous partage, courts, fluides, qui prennent aux tripes et vont droit au but.

En lisant son texte, j’ai eu soudain l’inspiration. Alors, je me suis lâchée moi aussi, j’ai laissé de côté Hope pour quelques minutes, et je suis passée en mode écriture automatique. Voici mon court récit.

Bateau, sur l’eau…

Sur l’eau, oui. Il se cramponne à cette idée comme un naufragé à sa bouée. Sur l’eau. Ils sont sur l’eau.

Une vague monstrueuse vient s’abattre sur le pont. Chacun s’arrime à ce qu’il trouve pour tenir. Une corde. Le bastingage. Tout plutôt que de passer par-dessus bord.

Par-dessus bord. Par-dessous l’eau. L’empire des abysses, le règne de l’obscurité. Là où il n’y a plus ni haut ni bas, ni air ni lumière.

Il frissonne rien que d’y penser. Là-dessous, c’est le chaos. Plus de repères ni de directions, une immensité où se cachent les pensées les plus noires. Les anguilles qui vous glissent entre les jambes, les algues qui s’empêtrent dans vos pieds pour vous attirer vers le fond. Ces profondeurs insondables, d’où s’échappent de mystérieuses mélopées. Les sirènes vous appellent de leurs vœux pervers. Pourquoi respirer ? N’est-on pas mieux, à reposer par le fond, le corps enfin relâché, immobile ? Vitreux. Calme. Mortellement calme.

Une giclée humide et froide le rappelle à lui. Il se tient au bastingage, le nez juste au-dessus de l’eau. Il reprend ses esprits. Sur l’eau. Ils sont sur l’eau. Rien d’autre ne compte.

Un coup d’œil. L’équipage tient bon. Le mat est brisé, des lambeaux de voiles s’accrochent de-ci de-là, donnant à leur navire une allure de vaisseau fantôme. Qu’importe. Qu’importe la mer qui trempe la cale, qu’importe le pont troué d’impacts, qu’importe la figure de proue défigurée. Ils sont sur l’eau. Ils sont tous là, sur l’eau. Rien d’autre ne compte.

Une lame balaye de nouveau le pont. Il s’accroche, résiste. Le sel lui pique les yeux, lui tire les joues. A moins que ce ne soient ses larmes ? Il passe la main sur son visage, tente de retrouver un peu la vue. Larme ou mer, qu’importe. Personne ne devrait avoir honte de pleurer.

Il reste arrimé à son parapet. Il sait maintenant qu’il est inutile de se battre. Tenir la barre, réparer le mât, recoudre la voile… plus tard. Il a compris qu’on ne restaure pas un navire en pleine tempête. En cette seconde, ils n’ont tous qu’une seule mission. Survivre. C’est tout. Et c’est déjà bien assez.

A sa droite, il aperçoit un mousse recroquevillé de peur entre deux tonneaux. A sa gauche, un vieux briscard regarde les vagues comme s’il en était amoureux. Mais il ne sautera pas. Il le sait. Ils l’ont promis, ils resteront tous à flot. Comme un seul homme.

Cette simple certitude lui réchauffe le cœur. Le troisième rouleau lui semble moins froid. En fait, ils n’ont qu’une seule chose à faire. Attendre que la tempête se calme. Tous ensemble, concentrés sur cet unique et simple but, ils ont plus de chance de survivre qu’en s’affolant et en courant de la cale au pont. Leur calme est leur plus grande force. On ne va pas contre la tempête, on la laisse juste passer. Ils essaient de faire corps. De prendre le sens du vent. Attendre.

Petit à petit, la houle se calme. Il se redresse, les membres endoloris. Ils se regardent les uns les autres. Ils sont tous là, vivants, et cette seule constatation suffit à sécher ses larmes. Un rictus lui traverse le visage. Un début de sourire. Face à lui, le vieux briscard a les yeux qui pétillent. Le mousse se relève. Ses jambes tremblent encore. Il a peur, c’est normal. La tempête reviendra. Mais ils sont là, ils sont à flot. Ils sont sur l’eau. Qu’importe le reste.

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