Rencontre avec Etienne Cunge aux Imaginales 2022

Les festivals, et en premier lieu le plus grand d’entre eux, les Imaginales, sont un terreau riche de rencontres et de débats. J’avais déjà croisé Etienne Cunge en dédicace chez Critic, mais c’était resté assez rapide – et surtout, je n’avais pas encore lu son livre, donc j’avais moins de sujets d’échanges. A vrai dire, je venais pour « Le chant des glaces » de Jean Krug, mais en voyant la punchline de « Symphonie Atomique » (« Soyez éco-responsables, suicidez-vous »), j’ai craqué et je suis ressortie avec les deux livres ! (pour le plus grand bonheur de mon libraire… et le mien !)

Symphonie Atomique est disponible aux éditions Critic.

Ma PAL étant ce qu’elle est, il s’est fallu 6 mois pour que j’ai envie de lire un thriller, un livre prenant que je ne lâcherai pas, et j’ai saisi « Symphonie Atomique ». Sur le rythme, l’écriture, l’immersion, l’authenticité des personnages, la complexité et le réalisme de l’intrigue, je n’ai pas été déçue. Loin de là ! Etienne a une écriture fluide, très sensorielle (j’adore ça!), très aboutie et pourtant très accessible. Il vient rejoindre la liste des Estelle Faye et autres Floriane Soulas dont j’aime beaucoup les formules, à tel point que j’ai mon petit carnet pour noter celles qui me plaisent (hé oui, c’est une façon très efficace de travailler son style! Je pourrais y revenir dans un autre article.)

Je vous explique : Etienne est biologiste de formation et expert dans le développement durable. L’intrigue de Symphonie Atomique se situe dans un futur que l’on devine proche (même si aucune date officielle n’est posée), où la planète n’est ni sauvée ni totalement condamnée : contrairement à la majorité des récits de science-fiction, nous ne sommes pas avant ou après l’apocalypse. Le lecteur est plongé dans un contexte dramatique, d’agonie et pourtant de survie, qui est diablement crédible (en tout cas avec la maigre expertise que je peux avoir par ailleurs). Tout est là : les pandémies, les dérèglements climatiques, les crises politiques dont la source est… en Europe de l’Est. Avec des Russes face aux Européens, Américains et Chinois. Bref, le quatuor infernal que l’on connaît bien. Et la note à la fin du récit vous explique bien que tout ceci a été écrit avant le COVID, faisant de ce livre un prophète de mauvaise augure.

Donc, je suis ressortie stressée, anxieuse. J’ai mis deux-trois petites semaines à m’en remettre (mettant mon état sur mon incoercible sensiblerie), et voilà que j’ai la chance de déjeuner avec Etienne et l’équipe Critic aux Imaginales. Assez vite, je viens à lui avouer que le livre m’a un peu chamboulée – il m’avait même prévenu dans sa dédicace en écrivant « attention, éco-anxiété à l’intérieur » mais je n’avais pas saisi à quel point cela allait me remuer. Et là, Etienne me sort, le plus naturellement du monde « Ah oui, c’est normal ! C’est le but de ce livre. Faire ressentir au lecteur, avec ses tripes, ce qu’est l’éco-anxiété. Voilà trente ans que je sors des graphes sur la catastrophe environnementale qui nous attend, ça ne marche pas. L’être humain est un être d’émotion, pas de rationalité. Alors je suis passé à la littérature pour tenter de faire changer les choses. »

Je suis restée coite. Probablement parce que pour moi, la littérature est avant tout un moyen d’évasion, d’espoir, d’apprentissage doux et que j’aime y lire des choses positives. Mais… il a diablement raison, Etienne, je ne peux que le concéder. Oui, l’être humain est un être d’émotion. S’il était rationnel, je n’aurais pas besoin de passer des heures avec mes agences de com’ au boulot pour tenter de vendre mes produits meilleurs et moins chers et plus français que la concurrence à grands coups d’astuces, de publicités, de service.

Nous avons discuté un long moment. Etienne a de solides connaissances écologiques et politiques, tant par son métier que par son histoire. Les partis pris qu’il a sur l’avenir, ses convictions m’ont paru sensées… et glaçantes du coup. Et j’en suis venue à la question qui me taraude, celle qui, si je l’écoute trop fort, risque de me faire tomber.

A quoi bon ?

A quoi bon tous ces efforts si le destin est scellé ? A quoi bon faire des enfants ? A quoi bon se battre aujourd’hui ? Comment supporter la vie lorsque l’on voit si nettement la direction dramatique que prend l’humanité ?

Etienne m’a répondu, et cela m’a tant aidé et touché que j’ai sorti mon portable pour prendre des notes.

Sans tout retranscrire en détail, voici ce que j’ai retenu et qui, depuis les Imaginales, m’aide à regarder la vie et l’avenir sous un autre jour.

Face à un futur sombre, face à des décisions qui ne nous convienne pas, quelle est notre action, quelle est notre conviction personnelle ? Est-on prêt à se battre ? A garder notre dignité ?

Face à l’impermanence des choses, face à l’incertitude, ne devrait-on pas profiter de ce que l’on a ? Un champ de blé, un air pur, un oiseau qui s’envole… combien sont ces petites choses qui nous sont invisibles parce qu’on les croit éternelles ?

Ces questionnements, sous-jacents dans Symphonie Atomique, ce n’est pas la première fois que je les entends. Mais j’ai eu besoin de la fiction, du guide de lecture d’Etienne pour me les approprier réellement. Là où lire des articles divers, discuter avec des collègues n’a pas réussi à me faire changer, le roman l’a fait.

Le contexte est compliqué au travail. Je fais partie de ces personnes qui ont quitté, il y a 4ans, un emploi prestigieux parisien pour s’engager dans une entreprise locale à forte valeur environnementale. J’y ai trouvé du sens, de l’humain, mais dans un monde où les émotions gèrent le quotidien des consommateurs, où l’alimentation est devenu un pis-aller du budget*, où les géants prennent le pas sur les petits, et les difficultés d’approvisionnement, de structure, de ruptures etc sont légion, le quotidien n’est pas un long fleuve tranquille. Passer d’un milieu clinquant-friqué à la réalité du terrain et de la terre ne correspond pas tout à fait aux clichés de bobo-reconvertis que l’on lit de-ci de-là 🙂 (et un peu quand même, car rien n’est jamais ni vrai ni faux : notre monde oublie la nuance, mais c’est là que se cache la vie).

La discussion avec Etienne m’a permis de prendre du recul, de respirer (pour un auteur qui décrit une planète irrespirable, c’est un comble, non?). A ma façon, je me bats. En allant au travail tous les jours, en faisant de mon mieux et en restant dans le vaisseau, je me bats. En appréciant les fleurs le long du chemin, en observant les buses jouer alors que je file avaler joyeusement les 10km qui me séparent du taf en vélo, je me bats. « Symphonie Atomique » m’a permis de faire le deuil d’un futur par trop idéalisé, et de retrouver contact avec la beauté du présent.

C’est là toute la puissance de la littérature. Devenir autrice est une montagne russe, faite de joies les plus intenses et de découvertes peu reluisantes. Le statut déplorable des auteurs, l’imparfaite filière du livre (si imparfaite que tout le monde dit « chaîne » du livre), les conflits et débats qui ont notamment émaillé les dernières Imaginales… il faut parfois avoir du coeur pour s’accrocher. Là aussi, je fais petit à petit le deuil du monde parfait que je pensais découvrir autant que de l’attitude parfaite que je pensais y tenir.

Le monde n’est pas parfait. Il est perfectible, il est un terrain d’apprentissage où chacun peut tracer sa voie. Et des voies qui se tracent dans des directions qui me plaisent, il y en a tant ! Des amitiés fortes et authentiques, un éditeur-libraire coopératif, des anthologies délibérément positives, des tables-rondes sur l’herbe humaines et respectueuses, des blogueurs qui se mobilisent pour faire connaître les petites maisons d’éditions, des auteurs reconnus qui défendent les petits nouveaux… les Imaginales ont été avant tout, pour moi (et pour beaucoup d’autres je crois), un formidable terreau de positivité et d’énergie.

Merci à Etienne d’avoir écrit ce livre, et merci d’avoir été la petite touche de réflexion, le petit déclic qui a sublimé cette édition et mon quotidien !

*je ne jette pas la pierre. Moi aussi j’ai encore du mal à payer le VRAI prix de ma nourriture. C’est long et compliqué.

Image Rosie Kerr sur https://unsplash.com/photos/Gz0PxBYPfs8

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